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Il était une fois un vieux couple heureux : un roman inachevé
Le roman de Mohammed Khair-Eddine intitulé ‘’Il était une fois un vieux couple heureux’’, inscrit au programmes des classes du baccalauréat marocain mérite qu’on lui accorde un peu de notre attention, d’abord pour éclairer nos futurs bacheliers sur l’œuvre en question, ensuite pour voir si cette œuvre d’un grand écrivain marocain vaut d’être programmée en classe de terminale.

Le titre ‘’Il était une fois un vieux couple heureux’’ laisse entrevoir qu’il sera question d’un conte dont les protagonistes seraient un homme et une femme avancés dans l’âge. Mais bien vite, et dès les toutes premières pages de la première séquence, le lecteur s’aperçoit que l’oeuvre en question est loin d’être un conte comme l’a laissé croire le titre mais d’un roman dont les péripéties se déroulent dans le sud du Maroc. Le lieu, avec des noms de villes comme Mazagan et Casablanca, ou de noms  de continents comme celui de l’Europe, est  bien ancré dans un espace géographique pour être un terrain vaste et fertile où doivent se dérouler les péripéties d’un conte qui exige un espace plus ouvert et sans contours et un temps imprécis relégué dans un passé lointain.

Le nom du personnage qui forme l’un des maillons du couple porte le nom de Bouchaïb, nom impropre pour figurer dans un conte, à moins que le conte n’ait une dimension locale ou régionale, ce qui est écarté dans le cas de l’œuvre de Mohammed Khair-Eddine.

Ensuite, l’auteur, à l’instar des poètes de l’époque antéislamique, fait son entrée dans l’œuvre par l’évocation des ruines et des vestiges du campement abandonné par la tribu et, partant, de la bien aimée, départ dicté par les conditions climatiques et le mode de vie  fondé sur l’élevage et  la transhumance. Khair-Eddine évoque les ruines des demeures effondrées que leurs propriétaires ont abandonnées pour d’autres lieux plus avenants ou dont les maîtres sont morts comme c’est le cas pour le vieux couple.

Le champ lexical des ruines, des vestiges et de la mort  revient souvent dans la première page de la première séquence :

‘’des ruines récentes qui furent des demeures…’’

-‘’ces maisons de pierre sèche…..ne sont plus qu’un amas de décombres.’’

-‘’Les anciens habitants des lieux disparus depuis longtemps…’’

-‘’Une de ces ruines dresse des pans de murs difformes par-dessus un buisson touffu.. ;’’

Le lecteur doit bien vite corriger son horizon d’attente orienté vers la lecture d’un conte, pour se préparer à lire une histoire d’un couple ayant habité des bâtisses devenues ruines et morts sans laisser d’héritiers. Ce qu’ils ont laissé derrière eux, est un amas de pierres témoin de l’existence d’une demeure jadis habitée par des êtres humains.

A l’inverse des poètes de la période antéislamique qui évoquaient les ruines pour la jactance, l’éloge, l’élégie… Mohammed Khair-Eddine l’évoque pour quelque chose de plus banal et de plus terre à terre, pour ne pas dire de plus vulgaire : Il est question d’un vieux et d’une vieille dont on ne connaît pas la jeunesse, et qui mènent une existence des plus plates.

Ce qu’il faut surtout retenir de la lecture de ce roman c’est son caractère inachevé, c’est que Mohammed Khair-Eddine ouvre une analepse à la page 5 avec ’’Une de ces ruines dresse des pans de murs difformes par-dessus un buisson touffus de ronces et de nopals et quelques amandiers vieux et squelettiques. Elle avait été la demeure  d’un couple âgé et sans descendance qui n’attirait guère l’attention car il vivait en silence….’’, analepse qu’il ne fermera plus jusqu’au point final ‘’Le vieux, qui avait vu cette désolation, se demandait si son propre village allait connaître le même sort.’’ Non !se dit-il (page 150)……Car la vie est partout, même dans le désert le plus aride (fin du roman)’’.

L’auteur qui a arrêté le narrateur sur les ruines et à qui il a délégué ses pouvoirs pour ouvrir une rétrospection pour relater au lecteur ce qu’il sait de ce couple mort sans laisser de lignée et dont la maison n’est qu’un amas de pierres se devait de revenir de cette analepse de 148 pages sur un total de 149 pages que compte le roman. Le roman reste donc ouvert et le vieux et la vieille présentés comme morts à la première page (page 5) sont vivants et bien portants à la fin du roman.

Cette anachronie, pratiquée à la page 5, d’une portée imprécise et sans amplitude, demeure béante comme une plaie non cicatrisée.
tayeb zaid