Zaid Tayeb
La Boîte à Merveilles, roman d’Ahmed Séfrioui inscrit au programme du baccalauréat régional marocain peut-il être considéré comme une autobiographie ou comme un roman autobiographique ? Certains professeurs plus pointilleux que nature vont jusqu’à sanctionner leurs élèves qui prennent cette œuvre comme une autobiographie. Nous devons poser ces deux questions et essayer d’y répondre :
– Qu’est-ce qu’un roman autobiographique ? C’est une autobiographie publiée dans un roman.
-Qu’est-ce qu’une autobiographie ?’’ C’est la biographie d’une personne écrite par elle-même’’ (Le pacte autobiographique, Philippe Lejeune, Seuil). Dans un cas comme dans l’autre, nous tombons sur la même réponse. Ce qui revient à dire que roman autobiographique et autobiographie, c’est du pareil au même à la différence que dans le roman, le nom de l’auteur est différent de celui du personnage. Cette différence d’identité entre l’auteur et le personnage comme dans le cas de la Boîte à Merveilles n’a pas d’incidence sur le code de lecture des œuvres à caractère autobiographique, La Boîte à Merveilles entre autres.
S’il en est ainsi, autobiographie et roman autobiographique se rejoignent dans leur contenu qui est d’être un récit de vie d’une personne réelle qui a une identité, un état civil.
Le roman autobiographique se distingue de l’autobiographie par la différence d’identité entre l’auteur et le personnage principal, disent ceux qui voient les choses comme telles. En effet, l’auteur de la Boîte à Merveilles s’appelle Ahmed alors que le personnage principal a pour nom Sidi Mohammed. Ahmed Séfrioui en sa qualité d’auteur nous raconte donc une partie de son passé d’enfant. Dans la réalité, Ahmed est la même personne que Mohammed à quelques années d’intervalle, en amont ou en aval, en allant de l’auteur vers le personnage ou du personnage vers l’auteur. Qui est Sidi Mohammed s’il n’est pas Ahmed Séfrioui ? Pourquoi Ahmed a choisi d’être désigné par Mohammed ? Pourquoi l’auteur prend-il ses distances vis-à-vis du personnage qu’il était 39 ans plus tôt? Cette distance a-t-elle un impact sur le code d’écriture et de lecture établi entre l’auteur et le lecteur ? Autant de questions que je voudrais poser aux professeurs soucieux d’établir une frontière entre autobiographie et roman autobiographique, sans tomber dans le contresens. Nous avons d’autres exemples dans ce sens que l’on peut tirer de ‘’Le Dernier Jour d’un Condamné’’ de Victor Hugo, roman également au programme du baccalauréat régional de notre pays. En effet, cette œuvre sans genre bien précis que l’on enseigne comme ‘’ un roman à thèse’’ fonctionne comme ‘’un roman autobiographique’’ comme disent nos amis qui voient dans la différence d’identité entre l’auteur et le narrateur un critère de classification et par conséquent un trait distinctif de genre ou de ‘’sous genre’’. D’ailleurs, est-ce que ‘’le roman autobiographique’’ est un genre à part entière ou un ‘’sous genre’’ ? s’il est ‘’sous genre’’, il l’est par rapport à quel genre ? A l’autobiographie, bien sûr. Je reviens donc à ‘’ le dernier Jour d’un Condamné’’ où le lecteur peut facilement voir des indices évidents d’une œuvre à caractère autobiographique. D’abord, la narration est à la première personne du singulier ‘’je’’, ensuite les nombreux souvenirs introduits ainsi ‘’je me revois enfant, écolier rieur et frais …(Chapitre XXXIII), ‘’ je me souviens qu’un jour, étant enfant,…( Chapitre XXXVI)…Autant d’indices qui laissent penser à une parenté entre l’autobiographie et Le Dernier Jour d’Un Condamné. Là oui, il est évident que l’auteur n’est pas du tout le personnage car le lecteur sait grâce à la biographie de Victor Hugo que celui-ci est mort de vieillesse et non sous le couperet de la guillotine. Laissons de côté les indices à caractère autobiographique qui sillonnent ‘’Le Dernier Jour d’un Condamné’’ et la différence d’identité entre l’auteur et le narrateur susceptibles d’apporter quelque piètre justification pour ceux qui voient dans cette différence un trait distinctif entre biographie et ‘’ roman autobiographique’’.
En dehors de la différence d’identité (dans la Boîte à merveilles) entre l’auteur et le personnage, démentie dans la réalité par le fait que l’un est bel et bien l’autre. Dans la fiction, il y a des frontières bien tangibles entre l’un et l’autre des personnes, que le nom de l’auteur soit le même ou différent de celui du personnage.
Le même code de lecture s’applique aussi bien à l’autobiographie qu’au soit disant roman autobiographique, si jamais ce dernier existe en tant que genre à part entière ou de sous genre.
Toutefois, je vais tenter de voir s’il y a bien une différence entre le roman autobiographique et l’autobiographie, en partant de l’identité de l’auteur et de celle du personnage, considérée comme un trait distinctif entre le premier et la seconde.
1-Ceux qui s’appuient sur la différence d’identité entre l’auteur et le personnage pour distinguer le roman autobiographique de l’autobiographie ne peuvent aller nulle part avec cet argument, si toutefois on peut considérer ceci comme tel. Si Ahmed n’est pas Mohammed dans la Boîte à Merveilles, c’est que Ahmed n’écrit pas une autobiographie mais une biographie, et par conséquent, Ahmed devait désigner Mohammed non par ‘’je’’ comme pour les autobiographies classiques mais par ‘’il’’ comme pour les biographies. Admettons avec eux qu’Ahmed Séfrioui l’auteur de la Boîte à Merveilles ne soit pas Sidi Mohammed le personnage du même livre : Qui peut être alors Sidi Mohammed ? Un autre personnage que l’auteur ? S’il en est ainsi, La Boîte à Merveilles n’est donc ni un roman autobiographique, ni même une autobiographie. Car dans l’un et l’autre cas, l’auteur est censé raconter sa vie ou une partie de sa vie. Or, selon ceux qui disent que ‘’La Boîte à Merveilles ‘’ est un roman autobiographique, non une autobiographie, ils tombent dans un contresens en disant qu’Ahmed raconte la vie de Mohammed, mais qu’Ahmed n’est pas Mohammed. Ce qui revient à dire qu’Ahmed ne raconte pas sa vie mais celle d’un autre qui s’appelle Mohammed.
Dans les faits, comme je l’ai dit plus haut, l’auteur= le narrateur= le personnage. C’est-à-dire qu’Ahmed Séfrioui est la même personne que Sidi Mohammed le narrateur et Sidi Mohammed le personnage. Trois en un ou plutôt UN en TROIS : ce ne sont pas les trois personnes qui font une seule mais UNE personne qui se subdivise en TROIS : l’un écrit, l’autre raconte, le troisième parle (nous sommes déjà dans l’univers de la fiction que je développerai au point suivant). La différence entre le premier et les seconds est une différence d’époque non d’identité : Ahmed Séfrioui de 1954 (date d’écriture du roman) est bien les deux Sidi Mohammed, le narrateur et le personnage de 1921(époque du déroulement des faits). En outre, s’il y a une seconde différence entre le premier et les deux seconds, elle concerne l’âge et non l’identité : Ahmed l’auteur a 39 ans alors que les deux Sidi Mohammed ont 6 ans chacun. En conclusion, la différence d’identité comme ils disent est démentie par la réalité d’une part et de l’autre par le code de lecture des œuvres à caractère autobiographique. La vraie différence entre Ahmed l’auteur d’une part et Sidi Mohammed le narrateur et le personnage de l’autre, demeure dans l’âge et l’époque puisqu’ils sont distants de 33 ans le premier des deux autres. Ceci pourrait être ainsi transcrit :
– Identité Ahmed auteur= Identité Sidi Mohammed (narrateur + personnage) quels que soient le nom du premier et ceux des suivants.
– Age auteur # Age Sidi Mohammed (narrateur +personnage)
– Epoque auteur# Epoque Sidi Mohammed (narrateur+ personnage).
Concluons que dans les faits, la différence n’est pas dans l’identité mais dans l’âge des personnes et l’époque de leur situation.
A SUIVRE…