Quelle valeur ajoutée jean Anouilh a-t-il insufflée à Antigone en la récrivant à sa manière ? Quelle est le mobile de cette récriture en cette période de l’histoire de la France assombrie par l’occupation nazie de ses terres?
A la lecture d’Antigone, telle qu’elle a été reprise et manipulée par Jean Anouilh, il s’avère que les changements qu’il lui a fait subir affectent principalement la forme de la pièce. En effet, il a effacé les frontières qui la divisent en actes et en scènes, faisant d’elle une tragédie moderne violant ainsi les règles de genre qui régissent la tragédie antique et classique. Par ailleurs, l’infraction dépasse le découpage de la pièce pour toucher la langue elle-même : Jan Anouilh a rhabillé Antigone d’une robe familière, vulgaire et obscène. C’est sans doute ce qui a fait la particularité de cette œuvre aux mélanges de couleurs où se côtoient sans se renier le noble et le vulgaire.
Sur le plan du fond, il a respecté le code d’écriture de la tragédie antique ou classique de manière générale et celle d’Antigone de manière particulière. Pour ce qui est du premier cas, la tragédie classique met l’homme aux prises avec le destin, quant au second, Antigone oppose le devoir à la loi. Voilà de manière simpliste et stylisée Antigone (la pièce) avec ces deux couples en conflit dont le premier est commun à toutes les tragédies et le second propre à Antigone.
Jusqu’ici, les modifications apportées à la pièce sont évidentes car observables et quantifiables. Toute autre interprétation n’apportera à la pièce qu’une matière étrangère à l’époque et d’un anachronisme suranné qui colle mal à l’aspect noble de la tragédie. Cependant, en lisant de près les critiques de quelques commentateurs zélés, colportées par d’autres à l’esprit harnaché d’une candeur ostensible, soutiennent que le choix de l’époque de récriture par Jean Anouilh est en rapport avec le contexte historique de la France divisée par le nazisme en zone occupée et en zone libre. De surcroît, ils attribuent à l’acte d’Antigone ( le personnage) une valeur symbolique de résistance en le rapprochant de celui d’un certain Paul Collette qui aurait agi de façon isolée comme Antigone. Un tel rapprochement entre une personne humaine réelle du XX ° siècle et un personnage de tragédie du V° siècle avant Jésus-Christ, me paraît réduire la motivation de Jean Anouilh à un simple point de comparaison ente deux êtres d’essence différente. En effet, dire que Jean Anouilh avait été motivé par l’histoire de Paul Collette pour reprendre à sa manière l’écriture d’Antigone, c’est affirmer que l’auteur souffrait d’un manque d’inspiration et qu’il lui avait fallu l’histoire du résistant en herbe, pour déclencher en lui le mécanisme d’écrire dans un moule déjà existant. Ce qu’il faut comprendre en conséquence, est que Jean Anouilh n’avait pas attendu les coups de fusil de Collette pour se mettre à écrire sur les vestiges de Sophocle. Il est vrai que l’interprétation, quoiqu’un peu saugrenue, est quelque peu éloquente mais l’éloquence est loin de faire d’une anecdote de bonnes commères un fait littéraire qu’on s’évertue à enseigner, baguette en mais, aux apprenants dans nos classes de littérature française comme s’il avait contribué à la libération de la France du joug du nazisme et à faire de Jean Anouilh ce qu’il est. Le lecteur averti comme le profane auront beau chercher une quelconque allusion à ce fait d’arme dudit Collette dans Antigone, si cher à certains commentateurs qui tentent maladroitement de faire d’une ruine un monument qui, à la moindre secousse, vacille sur ses bases, ils n’en trouveront pas trace.
Nous pourrons proposer d’autres interprétations non moins éloquentes et tout aussi saugrenues, tout comme celle de Collette, mais qui demeurent indignes de figurer parmi les critiques sérieuses et de bon aloi. L’une concerne l’effacement des frontières qui divisent la tragédie en actes et scènes, l’autre le face à face ayant opposé Antigone à Créon. La première peut être interprétée comme une allusion à l’unité de la France morcelée par le nazisme ; la seconde à l’émancipation de la femme et à son affranchissement du paternalisme masculin.
Je crois, en fin de compte, que les lecteurs d’Antigone ne doivent pas voir au-delà de ce qu’offre l’œuvre : en effet, elle offre trois axes de lecture que les lecteurs peuvent exploiter de manière certaine.
-L’homme aux prises avec le destin et triomphe du second sur le premier ;
-Le devoir face la loi et triomphe de la dernière sur le premier ;
-La relation de cause à effet : la mort d’Antigone entraine celle d’Hémon et la mort d’Hémon celle d’Eurydice.